Dire que les infrastructures mongoles ne sont pas beaucoup développées serait un euphémisme : elles sont inexistantes. Dans ce pays immense traversé par le désert de Gobi, aucun réseau ferroviaire (excepté la ligne du transsibérien qui traverse le pays pour arriver jusqu’à Pékin) et aucune autoroute. Les voyageurs qui s’y rendent sont invités à louer une Jeep avec chauffeur mongol, et il est écrit partout qu’il est difficile de découvrir ce pays par ses propres moyens. Pour aller d’une ville à une autre, je prends donc le bus local. Après deux jours à Oulan Bator, je choisis, sur les conseils de la gérante de ma Guesthouse et grâce aux récits que j’ai pu lire, de partir pour le nord de la Mongolie, au lac Khövsgöl. Itinéraire : quinze heures de bus jusque Mörön, puis une soixantaine de kilomètres jusque Hatgal.

Mon bus est à 19h à la gare routière (qui n’a de gare que le nom) de Dragon, à l’ouest d’Oulan Bator. Je décide d’y aller plus tôt afin d’acheter quelques provisions pour le trajet et le séjour qui m’attendent. Je suis la seule étrangère au milieu de la foule, la seule étrangère au milieu du bus, et je crois que l’on me regarde comme une apparition surréaliste. Le chauffeur me sourit et nous tentons de communiquer avec quelques gestes, en vain. Nous partons dans les temps, il allume la télé, des morceaux et clips de variété mongole apparaissent, qui ne s’arrêteront que quelques heures pendant la nuit et dont le volume sonore reprendra de plus belle vers 6h du matin. Vers 23h, je découvre ainsi la Macarena mongole…

27 septembre 2019.

27 septembre 2019.
Si la fatigue du décalage horaire commence à se faire ressentir, quelques moments de grâce humoristique viennent me réconforter. Au cours de notre troisième arrêt vers 21h, je descends du bus à la recherche de toilettes. Mais nous sommes déjà au milieu de nulle part, et mon innocence européenne n’a pas encore apprivoisé la réalité mongole. Alors que je demande à une autre passagère si je peux en trouver dans le restaurant où certains sont allés manger (« Toilets ? »), elle rit et, d’un geste des bras, me montre la nuit qui nous entoure en disant : « Toilets everywhere ! ». Je ris avec elle. Un instant plus tard cependant, elle me montre du doigt une petite cabane de bois à quelques dizaines de mètres de nous : « Here, toilets ! ». Nous nous en approchons, je pense déjà savoir à quoi m’attendre et l’idée ne me dérange pas : un trou et une planche en bois. Mais quel trou ! La planche est percée par une forme de cuvette bien plus large que la normale, et, plus je m’en approche, plus je réalise la profondeur de cette installation. Je dois bien me trouver à trois ou quatre mètres au-dessus du sol. Moi qui ai peur de marcher sur les grilles d’aération et qui suis capable d’avoir le vertige dans des escaliers… Je pense que mon regard me trahit, car ma camarade de chemin dit, en me montrant le derrière de la cabane, quelque chose qui signifie certainement : « Bah, ne t’embête pas et va derrière ! ». Je ris à nouveau… et prends conscience par la même occasion du tableau époustouflant qui me surplombe. Nous avons quitté Oulan Bator depuis deux heures, il n’y a plus aucun signe d’urbanisation autour de nous, et je crois n’avoir jamais vu d’étoiles aussi basses. La Voie lactée me domine de toute sa splendeur, le ciel scintille en tout point. Mélange des émotions, instant suspendu. Ce moment enchanté est le bienvenu, car ce qui m’attend ensuite pourrait suffire à me faire regretter mon voyage. Vers minuit, nous quittons la route goudronnée. J’avais bien lu que le trajet était un peu mouvementé, mais je n’imaginais rien…
La première fois que j’ai pris l’avion, j’ai demandé avec inquiétude à ma maman si l’appareil allait faire pareil que l’avion Star Wars de chez Mickey. À cinq ans, ce souci semblait légitime et bien sûr, non, l’avion qui nous menait en Tunisie n’a pas fait comme chez Mickey. Le bus me menant jusqu’à Mörön, en revanche… Je garderai le souvenir d’une attraction de réalité non virtuelle. La première activité à sensations fortes de mon voyage ! Pour 36000 tugriks, soit un peu moins de 12€, quinze heures de haute voltige. On aurait bien du mal à trouver meilleur rapport qualité-prix en Europe. Si les premières heures donnent déjà l’impression de naviguer plus que de rouler tant la platitude de la route est aléatoire et les secousses sont imprévisibles, le moment où nous tournons sur une route en terre me rappelle qu’il est bien palpable, le sol… Les vibrations n’ont d’égales que les nuages de poussière qui les accompagnent. Alors que je regrettais initialement de voyager de nuit et donc de ne pas voir une partie du paysage que j’allais traverser, je pense vite qu’il est préférable, pour ce premier trajet, de ne pas pouvoir deviner l’horizon. À défaut, je devine parfois le sol à travers le pare-brise du conducteur dans les passages les plus délicats, souvent accompagnés d’un bruit de frottement de la carrosserie contre la terre…
De retour sur une route parfaitement goudronnée aux alentours de 4h, je parviens enfin à m’endormir. Vers 6h30, l’aube est là, j’ouvre pleinement les yeux et découvre l’étendue du paysage, qui baigne dans une lumière rouge sang. La Mongolie telle que l’imaginaire de chacun peut la concevoir se révèle. Nouvel instant de grâce. Je frotte régulièrement la fenêtre de ma main pour y ôter la buée et la condensation qui s’y forment, et tente de m’imprégner au mieux de cette immensité immaculée. Je me rendors, apaisée. Vers 8h il me semble, le bus s’arrête pour une nouvelle pause. Je sors avec entrain pour mieux m’immiscer dans cet environnement. Là, dehors, au milieu de rien d’autre qu’une route rectiligne à perte de vue et d’une palette de couleurs brunes, je respire.

vers 8 heures…
Mais nous repartons rapidement, et je me rendors jusqu’à l’arrivée à Mörön. À la descente du bus, un homme me demande si je cherche un conducteur jusqu’à Hatgal, où j’ai déjà réservé une Guesthouse. En malheureuse française que je suis, je me méfie… n’est-il pas possible de prendre un bus ? Il m’affirme que non, je le crois à moitié. Il se propose de m’y conduire avec deux autres personnes. Incertaine, je lui donne mon accord mais refuse de lui donner mon sac. En attendant les autres passagers, je vais me renseigner à la billetterie… Bien sûr, l’homme dit vrai, de même que les informations qu’il m’a confiées pour mon trajet retour à Oulan Bator sont exactes. Je me sens ridicule… Après d’autres expériences de ce type, j’en arrive à la conclusion suivante : les habitants de ce pays n’ont aucune mauvaise arrière-pensée. Je crois profondément que l’aide qu’ils proposent est toujours sincère. Nous partons finalement en voiture pour Hatgal avec une jeune mère et sa fille de deux ans environ. J’essaie de faire un peu la conversation avec mon conducteur, (Gan ? Je comprends difficilement les prénoms mongols malgré ma bonne volonté), et de lui faire oublier ma réticence et mon jugement hâtif premiers. Nous avons un peu plus d’une heure de trajet. La route, encore une fois, est magnifique. Une multitude de tons ocres et bruns se répandent entre les arbres, la terre, les herbes sèches, les nombreux troupeaux… Chèvres, moutons, yaks, chevaux sont par dizaines. Je croise même le regard de vautours sur le bord de la route, en train de se régaler d’une carcasse. Les bergers, nomades ou fermiers, ne sont jamais bien loin : à moto, à cheval ou à pieds, je les aperçois au milieu des reliefs. Leurs habitations, maisonnettes en bois ou yourtes blanches, sont comme déposées parmi ces grands espaces. Cette palette de couleurs et de vies m’émeut.

28 septembre 2019.
Après être passée par toutes les émotions au cours de la nuit, je savoure cette tranquillité, prête à découvrir le havre de paix qui m’attend…