Trente heures à bord du Transmongolien

Il est 7h30 précises quand le train quitte la gare d’Oulan Bator, ce jeudi 17 octobre. L’immense machine s’élance lentement mais sûrement vers la Chine : elle ne dépassera pas, je crois, les 100km/h et arrivera à Pékin le lendemain après-midi. Quelques 1346 kilomètres et trente heures de voyage m’attendent donc avant de découvrir, après la capitale la plus froide au monde qu’était Oulan Bator, l’une des capitales les plus peuplées. Je vais aussi retrouver Pierre et Nathalie et je ne pourrais pas être plus impatiente.

Transmongolien, jeudi 17 octobre 2019.

Hormis les responsables de wagon je n’aperçois aucun Mongol, aucun Chinois : le train est rempli d’occidentaux. Dans les couloirs, j’entends des Allemands, des Français, des Italiens, des Anglais… Cette traversée ferroviaire est bien un fantasme européen. Dans mon compartiment de quatre couchettes, je fais la connaissance de deux Norvégiens et une Hollandaise. Comme la plupart des personnes que j’ai rencontrées en Mongolie, mes compagnons de voyage ont pris le Transsibérien depuis Moscou et arrivent à l’issue de leur itinéraire en rejoignant Pékin. Je les envie un peu, et l’idée d’entreprendre ce voyage de plusieurs semaines à travers la Russie, de Moscou à Vladivostok, s’enracine dans mon esprit…

Train 24, voiture 1, couchette 16.
Restaurant du Transmongolien, où je ne prends pas place car plus assez de tugriks…

Pendant les trente heures que dure le périple, tout le monde discute avec tout le monde, dans la cabine, dans le couloir, entre deux arrêts, face au paysage qui défile. Nous échangeons sur nos voyages, nos activités, nos pensées. Nous partageons nos repas : chacun a ses paquets de nouilles instantanées qu’il plonge dans l’eau chaude, disponible à des fontaines dans tous les wagons. L’ambiance est paisible, ponctuée de nombreuses siestes, de lectures, de photographies, de contemplation. Les paysages mongols que nous traversons sont fidèles à eux-mêmes : immaculés. À travers la fenêtre, j’assiste à un ultime coucher de soleil dans le désert de Gobi…

Traversée du désert de Gobi à bord du Transmongolien, jeudi 17 octobre.

Après l’isolement de Sylvain Tesson dans les hauteurs du lac Baïkal, je lis les aventures du Robinson Crusoé de Defoe : alors que je suis dans le confinement chaleureux d’une petite cabine, mon regard porté sur des espaces infinis et des paysages en mouvement, je me retrouve plongée dans les naufrages et la solitude d’un homme condamné à apprivoiser un territoire aussi limité qu’inconnu. Le décalage me plaît.

Vers 19 heures, nous arrivons au poste de frontière mongol. Dans les récits de voyage que j’ai pu lire sur internet, j’ai appris que cette étape prenait un certain temps : les rails mongols et les rails chinois étant différents, les essieux du train doivent être changés. Ma patience est prévenue. Mes compagnons de voyage repensent aux heures passées à la frontière russe en riant, et s’attendent à être à nouveau immobilisés quelque temps. Des douaniers récupèrent nos passeports et nous les ramènent une heure plus tard, tamponnés, prêts à sortir. Si cet arrêt est facile, nous savons bien que le passage au poste de frontière chinois ne va pas être la même histoire… Le train reprend son rythme quelques minutes puis s’arrête à quai, à côté d’un grand bâtiment. Alors qu’auparavant il était possible de rester dans le wagon pendant que les techniciens s’affairaient, les nouvelles mesures chinoises nous obligent à sortir : nos empreintes digitales doivent être contrôlées. Nous sommes invités à descendre avec toutes nos affaires. Nouveau pays, nouvelle ambiance… ! Il est 21 heures, une grande file se forme pour entrer dans le hall de contrôle semblable à un poste de sécurité d’aéroport. Une petite musique d’ambiance chinoise nous accompagne. Une heure plus tard, j’ai enfin passé les contrôles et mon visa est tamponné. Je suis en Chine ! Et je reste dans un hall d’attente… Certains dorment, certains lisent, d’autres discutent et boivent des bières, d’autres encore regardent un film… on fait passer le temps.

Hall d’attente à la frontière chinoise, entre 22 et 2 heures…

Vers 1h30, nous remontons à bord du train et nous nous installons dans nos couchettes. Un groupe d’allemands un peu éméchés envisage de ne pas dormir jusqu’à Datong, où l’arrivée est prévue à 6h. La machine démarre… Leur encouragement, « chu chuu motherfuckers ! », résonne dans le wagon et des rires se font entendre… Une dizaine de minutes à peine et je m’endors…

Quelques heures plus tard, la lumière du soleil levant vient caresser la fenêtre et éclairer les derniers instants dans le désert de Gobi. Le temps de penser à me lever pour regarder ce spectacle, mes paupières sont déjà profondément closes. Elles se rouvrent vers 8 heures sur un environnement bien différent : adieu étendues désertiques, adieu troupeaux et routes de terre… bonjour immeubles, ponts, serres, potagers, usines, pollution. Aucun espace n’est plus inoccupé. Après trois semaines passées au milieu d’étendues quasi vierges de toute possession humaine, ce réveil est étrange.

Paysage chinois, vendredi 18 octobre,
10 heures.

La nature n’est pas absente, mais elle est contrôlée. Finalement, un lac immense… des reliefs verdoyants et rocheux… puis des immeubles de plus en plus denses, des embouteillages, de l’agitation… Le train termine sa course, je suis arrivée à Pékin. Les trente heures sont passées en un clin d’œil ; à quand le Transsibérien ?

Gare centrale de Pékin, vendredi 18 octobre, 14h44.

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